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Par Pierre Ahnne le 9 Juillet 2016 à 09:21
Je ne vous quitte pas complètement pour ces mois d’été. Mais, comme tous les ans, vous me lirez moins souvent. Et, comme tous les ans aussi à pareille époque, voici quelques rappels, des suggestions, ainsi que, cette année, également quelques annonces.
Des livres dont j’ai parlé depuis janvier 2016…
L'ours est un écrivain comme les autres, William Kotzwinkle, traduit de l’anglais par Nathalie Bru (10-18)
Satire du monde de l’édition aux États-Unis et ailleurs, le livre de William Kotzwinkle est aussi une fable sur le langage, d’une drôlerie et d’une fantaisie étourdissantes.
Gloire tardive, Arthur Schnitzler, traduit de l’allemand par Bernard Kreiss (Albin Michel)
Le grand écrivain viennois avait renoncé à trente-trois ans à publier cette Novelle. Il y parlait de la vieillesse, de l’écriture, de ce rêve énigmatique qu’est la vie.
Les Feux de Saint-Elme, Daniel Cordier (Folio)
Sous le pseudonyme de Caracalla, il fut le secrétaire de Jean Moulin. À plus de quatre-vingt-dix ans, Daniel Cordier a publié ce récit d’amour et d’adolescence au temps des pensionnats de garçons. Une langue admirable, et une belle réflexion sur les rapports entre chair et mots.
La Conjuration des imbéciles, John Kennedy Toole, traduit de l’anglais par Jean-Pierre Carrasso (10-18)
Enfin réédité, voici un « livre-culte ». Mais aussi un chef-d’œuvre de comique profond, entre satire sociale et épopée grotesque.
Mémoire de fille, Annie Ernaux (Gallimard)
Redisons-le : Annie Ernaux est un écrivain essentiel. Elle en fait la preuve une fois de plus avec ce récit d’un souvenir indicible, dans lequel l’écriture est expérience de la perte.
Au fil des fêtes, Sholem Aleykhem, traduit du yiddish par Doris Engel et Astrid Ruff (Hermann)
Sholem Aleykhem est l’auteur d’une œuvre considérable écrite en yiddish, la langue d’un monde disparu, qu’il évoque avec une verve et une vitalité bien rendues par cette belle traduction.
Quarantaine, Jim Crace, traduit de l'anglais par Maryse Leynaud (Rivages poche)
Le romancier britannique raconte à sa façon les quarante jours passés par Jésus dans le désert de Judée. Une fausse parabole pleine d’humour, à double et triple fond, dans un cadre naturel magnifiquement évoqué qui en est peut-être le personnage principal.
Des livres dont j’aurais pu parler…
Ils vécurent heureux, eurent beaucoup d’enfants et puis…, Michael Cunnigham, traduit de l’anglais par Anne Damour, illustrations de Yuko Shimizu (Belfond)
Michael Cunningham est notamment l’auteur des Heures (Belfond, 1993), roman qui a donné lieu à un beau film de Stephen Daldry. Ici, il modernise des contes bien connus, sans les transposer nécessairement dans un cadre contemporain mais en dotant leurs personnages de ce qui, justement, en tant que héros de contes, leur fait défaut : une vie intérieure. Le résultat, agréablement illustré, est amusant, astucieux — parfois plus : Petit Homme, la reprise du conte de Grimm intitulé Rumpelstilzchen est une très belle réussite.
Le Fracas du temps, Julian Barnes, traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin (Mercure de France)
J’attendais beaucoup de ce « roman biographique » consacré à Chostakovitch. Peut-être trop… Saviez-vous que les artistes, en U.R.S.S., étaient fort maltraités, qu’on les surveillait, que leurs interventions publiques leur étaient dictées et qu’ils étaient parfois menacés du goulag ? Pour ma part, j’ai découvert ces vérités si bien cachées avec stupeur et consternation. Voilà un livre qui répond indéniablement à une urgence : il était temps qu’un écrivain courageux comme l’auteur du Perroquet de Flaubert se décide à dire ce qui n’avait encore jamais été dit. Ah, oui, il paraît par ailleurs que ce Chostakovitch était musicien…
Des livres dont je parlerai à la rentrée 2016…
La Semaine des martyrs, Gilles Sebhan (Les Impressions nouvelles)
L’auteur de Retour à Duvert évoque la révolution égyptienne.
La Gouvernante suédoise, Marie Sizun (Arléa)
Marie Sizun exhume un pan de son histoire familiale.
L’Incandescente, Claudie HunzingerClaudie (Grasset)
La plasticienne et romancière parle d’adolescentes intrépides.
Et aussi : Thierry Beinstingel, Éric Vuillard, Céline Minard, Remy de Gourmont et, comme on dit, bien d’autres…
2 commentaires -
Par Pierre Ahnne le 19 Décembre 2015 à 09:30
Comme tous les ans, des rappels et des suggestions, à déguster à l’abri de froidures qui s’annoncent cette année plus métaphoriques que sensibles…
Des livres dont j’ai parlé…
Vea Kaiser, Blasmusikpop (Presses de la Cité)
Une de mes découvertes de la rentrée : le premier roman de cette jeune écrivaine autrichienne mêle chronique villageoise, récit d’éducation et réflexion sur le même et l’autre avec une énergie jubilatoire.
Michel Longuet, Le Divan illustré (Les Impressions nouvelles)
L’admirable dessinateur se révèle aussi un écrivain dans ce récit d’une analyse qui associe subtilement ses deux talents.
Herta Müller, Dépressions (Gallimard)
Au-delà du témoignage sur son enfance roumaine, la Prix Nobel de langue allemande parle de l’être au monde, comme toujours.
Gilles Pétel, Exhibitions (iggybook)
Mon ancien compagnon de blog évoque l’art contemporain et la chair, dans un roman qu’on pourra à bon droit dire bien troussé.
Gilles Sebhan, Retour à Duvert (Le Dilettante)
L’auteur de Tony Duvert, l’enfant silencieux (Denoël, 2010) repart sur les traces du grand écrivain sulfureux, pour une biographie qui fera date.
Des livres dont je vais parler…
Ce n’est pas parce que la rentrée de janvier arrive qu’il faudrait cesser d’évoquer les titres de celle de septembre. Parmi ceux-ci, il en est deux que je recommande d’ores et déjà avant d’y revenir plus longuement :
Football, de Jean-Philippe Toussaint (Les Éditions de Minuit)
… et pourtant je ne suis, et c’est peu de le dire, guère amateur de ballon rond…
…et Un millier d’années de bonnes prières, de Yiyun Li, qui vient de reparaître chez 10-18, et dessine de bouleversants visages de la Chine contemporaine.
Des livres dont je pourrais parler plus longuement…
J’ai peu de goût pour les genres, que tant de lecteurs prisent. Mais en les revisitant avec grâce on peut en tirer bien des choses…
Annette Fern, Fais ta prière, Shimon Lévy (Le Verger)
Les juifs alsaciens et les Alsaciens tout court ayant des amis juifs ne seront pas les seuls à goûter les charmes de ce roman policier qui ne l’est qu’à demi. À l’enquête obligée du commissaire Schweitzer se mêle en effet celle qui lui fait découvrir, en explorateur un brin ahuri, le judaïsme strasbourgeois, ses rituels, ses codes, son histoire singulière qui recoupe celle de toute une région. Annette Fern, spécialiste de yiddish et auteure de théâtre, esquisse une réflexion sur le mélange des cultures.
Loupetitou, Les Aventures du chevalier de Torgluff (Sous la cape)
Sous ce pseudonyme au sérieux discutable se cache un auteur dont j’ai déjà parlé, de même que j’ai déjà mentionné le facétieux éditeur de ce roman de cape et d’épée qui traverse l’Europe, de Bretagne en Pologne, à une allure étourdissante. On n’y chevauche pas que des purs-sang : ni hommes ni femmes n’échappent à la fougue du chevalier ; même les mules, mon Dieu, ne sont pas à l’abri. Mais le XVIIe siècle se déploie aussi peu à peu dans toute sa complexité, et l’auteur sait rendre au passage les jeux de la lumière et des saisons.
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Par Pierre Ahnne le 4 Juillet 2015 à 09:14
Comme tous les ans à pareille époque, voici un petit rappel des livres qui m’ont le plus séduit depuis le début de l’année 2015 — et quelques suggestions supplémentaires, au seuil de la pause estivale…
La Maison-Guerre, Marie Sizun (Arléa)
… ou la guerre vue de biais par les yeux d’une petite fille. Marie Sizun excelle à ressusciter les angoisses et les émerveillements de l’enfance.
Le Livre des paraboles. Un roman d'amour, Per Olov Enquist, traduit du suédois par Anne Karila et Maja Thrane (Actes Sud)
La fabrique d’un roman possible, où le grand écrivain suédois parlerait de l’amour, spirituel et, surtout, charnel.
L'Insatiable Homme-Araignée, Pedro Juan Gutiérrez, traduit de l’espagnol par Olivier Malthet (10-18)
La Havane est une « grande caverne humide et crasseuse », et le narrateur de l’écrivain cubain y court de femme en femme, au gré d’une narration chaotique, drôle, rigoureusement aléatoire.
La Mesure de la dérive, Alexander Maksik, traduit de l’anglais par Sarah Tardy (10-18)
Une jeune Libérienne en exil clandestin à Santorin s’efforce de survivre sans penser au passé. Mais celui-ci la guette, et le lecteur aussi, au terme d’une dérive magnifiquement insidieuse.
L'Homme qui avait deux yeux, Matthias Zschokke, traduit de l’allemand par Patricia Zurcher (Zoé)
Il a deux yeux et regarde le monde de loin en se gardant d’intervenir. Autour de presque rien, Matthias Zschokke construit d’extravagantes et jubilatoires arabesques narratives.
Gil, Célia Houdart (P.O.L.)
Pour dire l’essentiel d’une vie vouée à la musique, Célia Houdart parle d’autre chose — ce qui est la meilleure manière d’approcher un peu l’essentiel.
En guise de complément, revoir aussi mes suggestions de décembre 2014…
… et ajouter à tout cela :
La Sumida, Nagaï Kafû, traduit du japonais par Pierre Faure (Gallimard / Unesco)
Les paysages de l’ancien Tokyo et leur beauté mélancolique portent ici l’essentiel d’une intrigue évanescente. Modiano citait Kafû dans son discours de Stockholm. Il avait raison.
Et tu n’es pas revenu, Marceline Loridan-Ivens (Grasset)
Ce n’est pas un roman. Ce n’est pas non plus le récit de sa captivité à Auschwitz-Birkenau. C’est une longue adresse à son père, qui, lui, n’en est pas revenu. Bouleversant.
Huit Nocturnes, Patrick Boman (Sous la cape)
Chez un éditeur imaginatif et malicieux, l’écrivain-voyageur Patrick Boman construit en huit nouvelles une manière de tombeau pour son héros l’inspecteur Peabody : ports d’Europe au pavé pluvieux, touffeurs indiennes, tous les ingrédients de l’Aventure, plus l’humour et la nostalgie.
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Par Pierre Ahnne le 13 Décembre 2014 à 09:35
Toujours soucieux de rendre votre quête du cadeau à faire moins angoissante, je vous propose comme en chaque mois de décembre une petite récapitulation du meilleur de cette rentrée littéraire telle que je l’ai vue.
Des nouveautés…
… assez décevantes, somme toute, les ouvrages les plus célébrés n’étant pas nécessairement ceux qui auraient le plus mérité de l’être. Il y a malgré tout certains livres qui consolent.
Claudie Hunzinger, La Langue des oiseaux (Grasset)
Comme toujours, la forêt, la solitude, la force qu’y prennent les rapports énigmatiques entre les êtres et les choses. Mais Claudie Hunzinger feint ici de se frotter au roman, renouvelant ainsi l’interrogation sur le moi et le monde qu’elle poursuit de livre en livre.
Gilles Sebhan, Mandelbaum ou le rêve d'Auschwitz (Les Impressions nouvelles)
Dans cette biographie du peintre bruxellois mort à vingt-cinq ans, Gilles Sebhan construit un vertigineux jeu de miroirs, et approfondit encore quelques-uns de ses thèmes de prédilection : la représentation, la violence, le rapport à l’excès et au père…
Éric Vuillard, Tristesse de la terre (Actes Sud)
Le beau récit d’Éric Vuillard n’est pas vraiment une vie de Buffalo Bill, mais une méditation funèbre sur la mort des civilisations et le goût moderne pour les spectacles et les mythes.
Yasunari Kawabata, Première neige sur le mont Fuji (traduit du japonais par Cécile Sakai, Albin Michel)
Des nouvelles inédites de Kawabata. Le grand auteur japonais construit des écrins à ses lumineuses et mystérieuses épiphanies.
Giovanni Arpino, Giovanni le bienheureux (traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Belfond)
Ce premier roman, inédit en français, d’un grand écrivain italien méconnu parle de Gênes à l’époque de sa parution (1952), de la misère, du vin, de la quête tragique d’un bonheur qui tiendrait tout entier dans le présent pur.
C’est aussi du côté des rééditions qu’il faut, bien souvent, se tourner…
Don Carpenter, La Promo 49 (traduit de l’anglais par Céline Leroy, 10-18)
Je découvre peu à peu l’œuvre de Don Carpenter, où ces brefs récits tiennent à mon avis une grande place. À partir d’une galerie de personnages au seuil de l’âge adulte, ils composent un faux roman déchirant sur l’inconstance des illusions et le destin inéluctable.
Claire Keegan, À travers les champs bleus (traduit de l’anglais par Jacqueline Odin, 10-18)
L’écrivaine irlandaise sait parler sans pittoresque des nuages, du vent, des landes de son pays natal. Et dire en quelques pages toute une vie, avec le point à peine perceptible autour duquel elle bascule.
Enfin, il y a toujours des livres dont je n’ai pas eu le temps de parler comme je l’aurais voulu.
Thierry Beinstingel, Faux nègres (Fayard)
Le gros livre de Thierry Beinstingel ne s’est pas trompé de rythme : il fallait la longueur et une certaine forme de ressassement à cet étrange roman d’une enquête journalistique dans un village des Ardennes qui vote pour l’extrême droite. L’alternance entre le récit proprement dit, les fragments de discours ambiant, la vie de Rimbaud vue par éclairs, composent un assez fascinant morceau de littérature.
Mireille Abramovici, À l’encre rouge (Les Impressions nouvelles)
Artiste, juif, résistant, le père de Mireille Abramovici a disparu dans la tourmente. Elle raconte ici non pas vraiment sa vie, mais l’enquête qu’elle-même mène à travers l’Europe sur ses traces. Réussissant aussi par là une belle réflexion sur la mémoire.
Et puis…
Un des plus beaux romans américains du XXe siècle vient de reparaître chez Belfond (collection [vintage]). Il s’agit du Pouvoir du chien, de Thomas Savage, traduit de l’anglais par Pierre Furlan. Vous n’aurez plus d’excuses pour ne pas l’avoir lu.
photos Pierre Ahnne
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Par Pierre Ahnne le 5 Juillet 2014 à 09:20
Avant d’adopter, comme chaque année pendant quelques semaines, un autre rythme, voici des idées pour les longues siestes et les heures tardives entre des draps frais, par temps chaud.
Des livres dont j’ai parlé au cours de l’année…
Sofia s'habille toujours en noir, Paolo Cognetti, traduit de l’italien par Nathalie Bauer (Liana Levi)
La vie de Sofia en dix fragments. Rapide, nerveux, tout un art du blanc et du temps. Et l’Italie en perspective, des « années de plomb » à nos jours.
Le Fidèle Rouslan , Gueorgui Vladimov, traduit du russe par François Cornillot (Belfond [vintage])
Le goulag vu par les yeux d’un chien, plus humain que bien des hommes, sans anthropomorphisme. Un chef-d’œuvre, tout simplement.
Salamandre, Gi lles Sebhan (Le Dilettante)
Sous les apparences du roman, Gilles Sebhan poursuit, en forme de lamento grinçant, sa quête de l’indicible.
La Petite Communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon (Actes Sud)
L’histoire de la gymnaste roumaine Nadia Comaneci, ou comment parler du corps et de la fabrique des corps. Il y a des succès de librairie mérités.
La Corde, Stefan aus dem Siepen, traduit de l’allemand par Jean-Marie Argelès (Écritures)
La corde de Stefan aus dem Siepen s’enfonce dans les grands bois et dans les profondeurs de l’âme allemande. Une belle fable énigmatique.
… des livres dont j’aurais voulu parler plus longuement …
Paris nécropole, Stéphane Lambert (L’Âge d’homme)
Comme toujours chez Lambert, le désir et l’art jouent le premier rôle dans ce roman étrange et labyrinthique, qui est aussi un bel hommage au Rodenbach de Bruges-la-Morte.
Patience, John Coates (Belfond [vintage])
Après sept ans de mariage, Patience la bien-nommée découvre avec émerveillement et candeur la jouissance. Un portrait humoristique et tranquillement audacieux de l’Angleterre vers 1953.
… et puis…
Pour ceux qui n’auraient pas encore lu Sous la Manche, le troublant faux polar de mon ex-co-blogueur, Gilles Pétel, ce roman vient de paraître en Livre de poche. Format commode pour le temps du vagabondage.
photos Pierre Ahnne
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