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Par Pierre Ahnne le 19 Décembre 2020 à 09:23
Soyons positifs : parmi les multiples surprises que nous réservait l’année qui s’achève, il y en a aussi eu de bonnes. D’abord, la lecture s’y est révélée une activité sinon « essentielle », au moins prisée. Ensuite, la rentrée littéraire a été riche en ouvrages intéressants. Comme tous les ans à pareille époque, en voici quelques-uns, parmi ceux qui m’ont plu et dont j’ai parlé.
Autant de lectures possibles en temps de couvre-feu, avant 2021 et des jours peut-être meilleurs — c’est en tout cas ce que je vous souhaite.
Rendez-vous en janvier, pour parler du nouveau Marie Sizun, du nouveau Gilles Sebhan, du nouveau Chris Kraus. De Maryline Desbiolles, de Marie Ndiaye, d’Hédi Kaddour, et de bien d’autres…
Dans le secret des familles
Fille, Camille Laurens (Gallimard)
La vie de Laurence, entre ses parents, ses sœurs, son corps, son fils, sa fille, c’est aussi l’aventure d’un mot et la naissance d’une future (grande) écrivaine.
Les Grandes Poupées, Céline Debayle (Arléa)
Qu’est-ce que l’Indochine ? Pourquoi Josette n’a-t-elle plus le droit d’aller au Balto avec son père adoré ? Pourquoi doit-elle passer l’été avec sa mère, sa cousine et sa tante haïe ?... Une enfance des années 1950, tout en couleurs et en ruptures de ton.
Les Lionnes, Lucy Ellmann (Seuil)
On n’en a pas assez parlé… Ce long monologue intérieur d’une ménagère américaine dans sa cuisine est un des livres les plus étonnants de la rentrée. Et, peut-être, un des plus jubilatoires…
Dans les tourments de la jeunesse
Qui sème le vent, Marieke Lucas Rijneveld (Buchet-Chastel)
Le premier roman de cette jeune écrivaine a fait grand bruit aux Pays-Bas. Il y a de quoi : un frère qui meurt, le corps qui change, les vaches décimées, la Bible… une langue exubérante et violente, la farce paysanne côtoie toujours la mort.
La Ville aux acacias, Mihail Sebastian (Mercure de France)
En 1935 paraissait en Roumanie ce roman traduit aujourd’hui pour la première fois. On y voyait Adriana grandir, hésiter entre plusieurs amours, découvrir le langage du corps… On y voyait passer les saisons, nuits d’été, songeries hivernales, mélancolie…
L'Invitation à la valse, Rosamond Lehmann (Belfond)
Retour d’une écrivaine anglaise très injustement oubliée. Olivia, dix-sept ans, va à son premier bal et y découvre, sous les apparences mondaines, le vrai monde. Subtil, cruel et plein de charme.
Le même éditeur republie aussi Intempéries, où on retrouve l’héroïne des années plus tard. L’appartenance de Rosamond Lehmann au Bloomsbury Group y est encore plus sensible, dans l’habile entrelacs du dialogue et du monologue intérieur.
Face au silence des choses
Okuribi, Hiroki Takahashi (Belfond)
Faux roman d’adolescence sur fond de harcèlement scolaire, où le héros n’entre pas tant dans l’âge adulte que dans l’intimité de l’univers. Paysages, parfums, insectes, tout ici est signe.
Sous la lumière des vitrines, Alain Claude Sulzer (Chambon)
Ce sont des choses bien différentes qu’on rencontre dans le roman de l’écrivain suisse, où un décorateur de vitrines voit sa vie minuscule bouleversée par l’irruption de la modernité. L’inquiétante étrangeté des étalages d’antan, et, en filigrane, une subtile réflexion sur l’œuvre d’art…
P. A.
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Par Pierre Ahnne le 18 Août 2020 à 16:49
Voici l’année nouvelle. L’année littéraire, bien sûr, qui commence cette semaine. La précédente a été mouvementée, tout le monde s’en sera aperçu, traversée non seulement par le malin virus mais par toutes sortes d’affaires, qui touchaient le monde littéraire ou des arts en général. Vous remarquerez que je n’en ai rien dit. Ma discrétion proverbiale, sans doute, ou, plus probablement, le fait que ce blog, comme son nom l’indique, s’occupe de littérature — pas de la vie des personnes civiles.
Je continuerai, pour la dixième année, à lire, dans cet esprit, ce qui se publie, et à en parler à celles et à ceux qui voudront bien continuer eux-mêmes de me lire. Attentif aux continuités et aux métamorphoses du roman, que cette rentrée illustre de façon particulièrement spectaculaire. Il est un peu trop tôt pour que s’abatte la prévisible avalanche d’histoires de pandémie. Mais la dystopie est bien là (Ilan Duran Cohen, Le Petit Polémiste, Actes Sud), comme le roman de reconstruction après traumatismes de diverses sortes (Sarah Manigne, Quitter Madrid, Mercure de France ; Hélène Veyssier, Comme une ombre portée, Arléa ; Marieke Lucas Rijneveld, Qui sème le vent, Buchet-Chastel), et l’histoire de genre commence à s’installer (Julien Dufresne-Lamy, Mon père, ma mère, mes tremblements de terre, Belfond).
Cependant l’autofiction n’a pas dit son dernier mot (Camille Laurens, Fille, Gallimard), le roman biographique non plus (Sandrine Willems, Consoler Schubert, Les Impressions Nouvelles ; Caroline Deyns, Trencadis, Quidam). Le tableau d’époque se porte toujours bien (Simon Liberati, Les Démons, Stock ; Barbara Kingsolver, Des vies à découvert, Rivages), le roman rural, parfois teinté d’écologie, confirme son retour (Vinca Van Eecke, Des kilomètres à la ronde, Seuil ; Florent Marchet, Le Monde du vivant, Stock). La famille reste une valeur sûre (Marie-Hélène Lafon, Histoire du fils, Buchet-Chastel ; Céline Debayle, Les Grandes Poupées, Arléa ; Pia Malaussène, L’Aurore, Mercure de France). Et, partout, les enfants ou les adolescents abondent, ce qui prouve que le bon vieux récit d’éducation, qui se glisse sans effort dans tous ces cadres, ne se démode pas.
Bien sûr, les plus intéressants parmi ces titres sont ceux qui se jouent des catégories et ne les empruntent que pour s’en démarquer. Sans compter les franchement inclassables, surtout quand je ne les ai pas encore lus (Sabyl Ghoussoub, Beyrouth entre parenthèses, L’Antilope ; Oscar Lalo, La Race des orphelins, Belfond ; Hervé Le Tellier, L’Anomalie, Gallimard). Et ce n’est pas fini.
Je vous souhaite une bonne rentrée, sans autre virus que celui de la lecture. Et, par goût de la contradiction ou souci de la cohérence, je dirai d’ores et déjà quelques mots d’un ouvrage qui n’est pas un roman et témoigne de vies véritables, mais vouées à s’anéantir pour laisser toute sa place à l’œuvre — au point que les auteures en question ont d’abord présenté celle-ci sous des pseudonymes masculins.
Je parle de la famille Brontë, dont Gallimard, dans sa collection « Folio classique », publie des Lettres choisies, traduites, remarquablement, et annotées par Constance Lacroix, dont j’ai déjà vanté les talents (voir ici). Elles se succèdent de 1821 à 1855, année de la mort de Charlotte, qui les signe presque toutes, le reste de la correspondance familiale étant réduite à l’état de vestiges. On voit, au fil du volume, mourir Branwell, le frère, puis Emily, puis Anne, et l’auteure de Jane Eyre connaître le succès qu’on sait. Elle raconte ses journées monotones, quand « la tempête fait rage » et que « la plainte continuelle du vent [la] remplit d’une intense mélancolie ». Mais aussi la rencontre des éditeurs londoniens stupéfaits et de Thackeray (dont Roland Barthes, dans le film de Téchiné, tenait le rôle). Elle approuve ou déplore les critiques consacrées à ses livres, et affirme que « la Vérité vaut mieux que l’Art ». Bonne rentrée, encore une fois.
P. A.
2 commentaires -
Par Pierre Ahnne le 4 Juillet 2020 à 08:53
Cela n’aura échappé à personne : le printemps a été un petit peu perturbé, y compris en matière de publications, littéraires ou pas. Depuis janvier, cependant, assez de livres assez remarquables ont paru pour bercer vos siestes estivales. En voici quelques-uns, j’aurais pu en ajouter d’autres. Mais il fallait bien faire un choix, et il est loisible à chacun de parcourir les dernières pages de ce blog pour y trouver peut-être quelques idées supplémentaires.
Bel été à tous. Et rendez-vous vers le 20 août, quand paraîtront les premiers titres de la rentrée dite de septembre.
Des histoires de pères
Papa, Régis Jauffret (Seuil)
« Réparer le père » : telle est la tâche, impossible, bien sûr, à laquelle s’attelle ici l’auteur de Fragments de la vie des gens. Sans précautions ni concessions, selon sa manière habituelle.
Feu le royaume, Gilles Sebhan (Rouergue noir)
Dans le troisième roman de sa série policière Le Royaume des insensés, Gilles Sebhan continue, sur le mode du conte horrifique, d’explorer les thèmes de la transmission et de l’ascendance.
Des histoires de fils et de filles
Azur noir, Alain Blottière (Gallimard)
Le jeune Léo habite l’immeuble où Rimbaud a jadis rejoint Verlaine. Possession ? Réincarnation ? Il se met à écrire et a d’étranges visions. Alain Blottière suit en funambule inspiré la piste étroite entre roman et poésie.
Une poignée de vies, Marlen Haushofer, traduit de l’allemand par Jacqueline Chambon (Chambon)
L’écrivaine autrichienne conte l’enfance, l’adolescence et la jeunesse de Betty, entre prison du corps et éblouissantes ouvertures au monde.
Summer Mélodie, David Nicholls, traduit de l’anglais par Valérie Bourgeois (Belfond)
Charlie, qui porte ses seize ans comme une croix, découvre, en un seul été lumineux, Shakespeare, le théâtre et l’amour. Élégante et roublarde variation sur des thèmes connus mais inusables.
Des histoires d’artistes
Harpo, Fabio Viscogliosi (Actes Sud)
La plus silencieux des frères Marx s’égare sur les routes de France et perd la mémoire. Cet épisode imaginaire nous emmène d’un pas léger vers des questions graves…
Être moi toujours plus fort, Stéphane Lambert (Arléa)
Dans ce livre illustré, Stéphane Lambert, entre récit et poèmes en prose, suit le peintre Léon Spilliaert dans l’espace essentiel sur lequel ouvrent ses noirs tableaux.
Des histoires de choses
Ne quittez pas !, Marie Sizun (Arléa)
Brèves histoires de téléphone, qui sont autant de poèmes à la solitude et à la ville. On y entend la musique unique de Marie Sizun.
Le Bosquet, Esther Kinsky, traduit de l’allemand par Olivier Le Lay (Grasset)
Sous le regard de la grande écrivaine allemande, les paysages de l’Italie du Nord deviennent d’étranges manuscrits, où tout est signe et parle de la mort…
Mélancolie du pot de yaourt, Philippe Garnier (Premier Parallèle)
Ce petit livre grave et désopilant dévoile, sous les multiples emballages qui nous entourent, d’inquiétantes et réjouissantes profondeurs.
Des histoires (déjà) anciennes
La Rue, Ann Petry, traduit de l’anglais par Martine Monod, Nicole et Philippe Soupault (Belfond) [première édition en 1948]
L’écrivaine afro-américaine donnait, dans ce roman rageur, une peinture hallucinée de Harlem et de ceux qui étaient contraints d’y vivre.
L'Italienne qui ne voulait pas fêter Noël, Jérémie Lefebvre (Buchet-Chastel) [paru en 2019]
Quand l’auteur de Danse avec Jésus s’attaque au roman de gare, c’est pour en faire un de ces pièges retors et drôles dont il est coutumier…
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Par Pierre Ahnne le 19 Mai 2020 à 17:43
Jean-Paul Honoré, auteur du remarquable Pontée, dont j'ai parlé ici, a lu mon texte intitulé La Moleskine du diable (voir ici), lequel lui a inspiré quelques réflexions, à son tour, sur la moleskine, les carnets, la notion de véritable écrivain…
Il a eu l'amabilité de me les faire parvenir et de m'autoriser à les publier. Qu'il en soit remercié, et, peut-être, donne l'exemple à d'autres lecteurs prêts à prolonger par l'écriture leur lecture de ce que j'écris sur les pages de ce blog.
La Moleskine du diable (réponse)
« Je ne serai jamais un véritable écrivain
car je n’ai pas de petit carnet. »
Pierre Ahnne
Alors pour ma part, cher Pierre Ahnne, c’est l’inverse. À la différence de vous (si vous me permettez ce début de phrase qui sent si peu son véritable écrivain (encore que l’expression sentir si peu son etc. relève peut-être le niveau)), j’ai beaucoup de carnets Moleskine,…
Pour lire la suite, cliquez ICI.
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Par Pierre Ahnne le 23 Avril 2020 à 18:40
C’est fini. Edith Ayrton Zangwill aura été, avec Forte tête, le dernier auteur dont j’aurai parlé. Je veux dire le dernier auteur publié avant le confinement, bien sûr. Je vous rassure, du moins, je l’espère : il n’est nullement dans mes intentions de mettre fin à ce blog, que je tiens, bon an mal an, depuis bientôt neuf années. Seulement, je suis arrivé au bout de mon retard, et des livres de mars qui m’étaient parvenus.
Un jour, je vous entretiendrai de ceux d’avril, qui sont devenus ceux de mai, voire de plus tard encore : le dernier roman de Camille Laurens, un recueil de nouvelles d’Anne Serre, le texte que Stéphane Lambert a consacré au peintre belge Léon Spilliaert, d’autres encore… Les articles sont déjà faits, ne croyez pas que je paresse, il ne manque que les ouvrages eux-mêmes.
En attendant, je vous proposerai de quoi vous distraire, peut-être, en ces longues journées étrangement et ironiquement ensoleillées. Oh, pas de journal de confinement, rassurez-vous à nouveau. Mais…
- … toujours des Paroles d’écrivains, lesquelles, ces derniers temps, ont souvent été de poètes ;
- de courtes Fictions, de moi, dont certaines ont jadis déjà figuré sur ce blog, d’autres non ;
- des Retours en arrière sur des livres dont on parlait et à propos desquels j’ai moi-même écrit il y a… sept, huit ou neuf ans ; rubrique à laquelle je songeais depuis un moment déjà et que la pandémie me donne l’occasion d’inaugurer.
Ces ouvrages, ceux auxquels j’ai consacré mes derniers articles, vous pouvez les commander, par exemple ici :
https://www.placedeslibraires.fr
https://www.momox-shop.fr/livres-C08
https://www.fnac.com/SearchResult/ResultList.aspx?SCat=0%211&Search=livres&sft=1&sa=0
… ou chez votre libraire, si celui-ci a mis au point un système de retrait adéquat.
Donc, bonne lecture, comme toujours. Et soyez bien prudents en attendant des jours meilleurs.
P. A.
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