-
Mykonos, Olga Duhamel-Noyer (Héliotrope)
Olga Duhamel-Noyer vit à Montréal, et fait partie des auteurs que la maison canadienne Héliotrope a entrepris depuis le début de cette année de faire connaître sur nos rives. Comme Le Fantôme de Suzuki, de Vincent Brault, dont j’ai parlé au mois de janvier (voir ici), son livre est un roman très court. À moins que ce ne soit une longue nouvelle ? Une novella, qui sait, puisque le terme est dans l’air ? Je n’ai jamais été très convaincu de la pertinence de ces distinctions…
L’important, c’est qu’ils sont quatre : Sebastian (le plus dragueur, celui qui boit le plus) ; Jules (le plus timide, le plus beau, le plus sportif) ; Pavel (le plus fin, celui qu’on suivra le plus souvent) ; Christopher, enfin, le plus âgé, le plus mûr (tout est relatif), celui qui a un oncle propriétaire d’un appartement dans l’île grecque de Mykonos, prêté aux quatre compagnons pour huit jours, du mercredi au mercredi – autant de chapitres.
Souvlakis, boîtes, filles suspendues
Ces très jeunes hommes débarquent dans une Grèce qu’ils ne connaissent pas, et qui nous est décrite avec une précision minutieuse, telle, s’entend, que les touristes la découvrent : ruelles blanches, souvlakis, bière de la marque Mythos et cafés frappés… Dans ce haut lieu de l’homosexualité internationale qu’est Mykonos, nos amis sont un peu sur leurs gardes. Mais ils se sentent libres, d’une « liberté toute neuve » que Mykonos « amplifie » : ne pénètrent-ils pas « dans l’univers de l’exagération », où le désir peut atteindre une « perfection d’intensité » inégalée sur les « autres bords de mer » ? Tous quatre se mettent donc aussitôt en devoir de se consacrer à deux activités essentielles : la baignade, les boîtes.
On est dans le présent absolu. C’est-à-dire dans un monde réduit à sa surface, sans arrière-plan ni commentaires. D’où exactement viennent les quatre garçons ? De quelles familles ? À quoi sont-ils occupés chez eux ? On ne le saura pas ; pour l’essentiel, ne nous sera donné à voir que ce qu’ils font ou ce qu’ils voient. « Des garçons montent au filet pour rabattre silencieusement le ballon de l’autre côté. Des filles crient sans qu’on les entende, suspendues un instant en l’air (…). La mer scintille au large »… L’écriture est au ras des faits, juxtaposés en courtes phrases : « Avec le quatre-roues, ils roulent sur la terre sèche à côté de la route. Il y a une voiture de temps à autre. Très peu ».
Profondeurs
Rythme sec et précis, calqué, dirait-on, sur le « beat » obsédant de la musique omniprésente. Les répétitions accentuent encore cet effet : « Certaines filles sont franchement détestables. En général, ce sont celles qui, le visage fermé, lavent leurs mains le plus frénétiquement possible. Les filles sourient davantage avec les garçons. On entre au compte-gouttes dans les toilettes des dames tellement les filles sont nombreuses et peu pressées ». Et le retour des mots va de pair avec la répétition des actes : « La veille, d’autres pin-up faisaient les mêmes gestes autour du filet, alors que d’autres jeunes hommes nageaient sauvagement le crawl avant de s’affaler sur leurs serviettes. Tout se passe comme si jour après jour les mêmes chorégraphies revenaient sur le sable ».
On croit un certain temps être dans un de ces romans venus d’outre-Atlantique, où la froideur et le détachement, paradoxalement exprimé par l’adhésion entière aux purs événements, travaillent à dépeindre et à dénoncer un monde réduit à la superficialité du simple plaisir. Cependant, peu à peu, tandis que les plongeons dans l’eau bleue se multiplient, une manière d’approfondissement s’opère : le lecteur se trouve placé aux points de vue successifs de divers personnages, la narratrice glisse çà et là une rapide réflexion – Pavel « n’est pas assez vieux pour apprécier la véritable beauté de la jeunesse » ; tel patron de boîte « connaît bien la sensibilité et la vanité des très jeunes hommes »…
Chute
On regrette un peu ce changement, d’abord insensible, de régime. Mais il accompagne notre familiarisation avec les quatre héros, en même temps que leur découverte du véritable visage de l’île. « Au début, Pavel n’avait pas remarqué les collines nues, il n’avait pas remarqué la disparition des arbres ». C’est le cas à présent qu’il sort un peu des sentiers balisés. Lui et ses amis se voient aussi invités dans des soirées auxquelles le touriste de base n’a pas accès. La présence de l’homosexualité s’y fait plus sensible. La thématique s’installe en mineur, et le personnage de Pavel porte ce mouvement insidieux, comme ses velléités d’isolement et d’indépendance l’y prédisposent : il ira seul se baigner, rien de plus, avec un jeune marin grec ; puis il y aura un barman, Dimitri, lequel « tente d’emprunter le bon chemin pour arriver à Pavel ». Et Pavel lui-même pourrait bien suivre un tel chemin, lequel le mènerait à ce qui pourrait au fond constituer ses vrais désirs. En tout cas, le rêve dans lequel il voit « un godemiché couleur chair » paraît le suggérer.
Il ne le fera pas. Nous ne dirons pas, bien sûr, quel événement (dramatique) viendra stopper net son cheminement. Le livre d’Olga Duhamel-Noyer doit être considéré, à en croire le prière d’insérer, comme « un roman entêtant sur la violence des représentations sexuelles »… Si on veut. Mais la réflexion reste ici tacite et sans morale, s’effaçant, à nouveau, derrière la brutalité des faits – qui viennent donner à ce petit texte dense et rapide une chute plus parlante que tous les discours.
P. A.
Tags : Olga Duhamel-Noyer, Mykonos, roman canadien, nouvelle, Québec, 2024
-
Commentaires