• Cabane, Millie Duyé (Le Nouvel Attila)

    www.larousse.frVoici le premier roman d’une auteure qui n’a pas trente ans. Que raconte-t-il ? Une enfance ballotée entre père et mère, entre solitude et besoin d’intégrer, à l’école puis au lycée, des « tribus » ; la rencontre de « Lui », qui deviendra vite « Tu », quitté pour un autre, retrouvé ; les hauts, les bas d’une relation qui finira par faire naufrage.

     

    Bref, en soi, pas grand-chose. On s’en doute, tout ici sera, plus que jamais, dans la manière de raconter. Peut-on pour autant parler de maniérisme ? Pas vraiment. En face de son histoire banale, celle qui parle construit autre chose, une vaste allusion, derrière laquelle le lecteur distinguera les étapes que j’ai grossièrement énumérées. Ce faisant, elle se construit elle-même. On n’est donc pas dans le décoratif ou le brio gratuit : à mesure que le roman se développe, nous assistons, comme en une sorte de performance littéraire, à une action.

     

    « Tête la première… »

     

    Que construit la narratrice-héroïne de Millie Duyé ? Des cabanes, bien sûr. C’est-à-dire, pour être plus précis, l’histoire d’une fille qui construit des cabanes. D’abord pour de bon, ces cabanes de draps ou de branchages que les enfants bâtissent et que leur imagination métamorphose : « Comme dans un film d’espionnage, un passage s’ouvre automatiquement à mon approche : une trappe au centre du tronc, j’y engouffre tout mon corps, tête la première et me laisse glisser le long d’un toboggan. J’atterris en zigzaguant sur mon lit ». La cabane-maison devient un « bateau-lit » qui cingle vers les rivages de la préadolescence. Bientôt, c’est la relation avec l’autre qui est édifice et refuge (« Mon amour pour toi est une maison »).

     

    Passant progressivement de l’enfance à l’âge adulte, on glisse du propre au figuré, et on parcourt ainsi tout l’espace de la métaphore, autrement dit, d’une certaine façon, de la littérature. En chemin, notre auteure décline les différentes acceptions possibles du mot cabane (y compris « case où les vers à soie filent leur cocon ») et du verbe cabaner (sans oublier « mettre une embarcation quille en l’air pour la réparer »). Selon une technique que l’OULIPO n’aurait pas reniée, le mot fonctionne ici comme moteur et comme programme.

     

    « Notre cocon dans un coton… »

     

    On peut le dire autrement : il s’agit ici de conserver la vision enfantine au-delà de l’enfance, et d’appliquer le point de vue de l’enfant aux péripéties de la vie adulte. À mesure que le livre avance, cependant, tout évolue et se transforme. D’une cabane à l’autre, on s’élève peu à peu suivant une progression en spirale rythmée par le retour de certains motifs : le symbole chinois des trois singes, une histoire d’ancre miniature avalée, le thème de la navigation, celui de l’animalité… Progression scandée aussi par le retour, plutôt que d’images, de formules, dans ce texte où sonorités et jeu avec les mots tiennent une place essentielle : « Dans ma cabane, j’ai deux cent deux doudous » ; « On file notre cocon dans un coton laiteux » ; « Mon père n’est pas simplement pratique, il ne fait pas que pratiquer, il pratique des choses pratiques, il est pratico-pratique »… Les virgules, dans tout ça, semblent saupoudrées au petit bonheur. Cependant notre adroite auteure réussit à s’assurer le bénéfice du doute : c’est sûrement, dans sa partition musicale et heurtée, un effet de rythme…

     

    Qu’est-ce qui, en fin de parcours, émerge de cet étrange labyrinthe fait de cabanes empilées ? Une femme, bien sûr, dont on nous a raconté l’avènement. Car, cela a été indiqué à plusieurs reprises, elle était elle-même ces édifices successifs à l’abri desquels, « absente à l’extérieur (…), mais trop présente à [elle]-même », elle cherchait à se protéger du monde. À la fin, elle le dit, « [ses] murs s’effritent ».  Et Millie Duyé, de cabane en cabane, a renouvelé, de manière moderne, drôle et radicalement poétique, le vieux récit de formation.

     

    P. A.

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